Rachats d'actions, l'aberration
Fichtre, diantre, damned, sapristi. Microsoft vient de signer un chèque de 40 milliards de dollars. Les deux tiers de son chiffre d’affaires annuel. Pas pour racheter Apple avant que le pancréas de Steve Jobs ne lui fasse passer l’arme à gauche, non. Pas pour corriger les bugs de Vista, non plus. Encore moins pour abonder le compte de la fondation de charité de Bill et Melinda Gates. Non, si le géant du logiciel dirigé par Steve (langue de) Ballmer a dégainé le carnet de chèques, c’est pour racheter des actions. Les siennes.
Autant le dire franchement : le rachat d’actions est à l’économie ce que le jean slim est aux jambes masculines. Une aberration. Pendant longtemps, il s’agissait, pour l’entreprise, de détenir une partie de son capital, histoire de pouvoir se protéger d’une agression extérieure, comme un rachat par un concurrent (OPA). Voire de détenir quelques actions pour pouvoir les redistribuer à un aréopage de managers à dents blanches, sous forme de stock-options ou d’actions gratuites.
Rien de tel désormais : si une boîte rachète ses titres (Total, Exxon, L'Oréal, HP, la liste est longue), c’est la plupart du temps pour les détruire. L’intérêt de l’opération est simple : comme il y a moins d’actions, la somme versée chaque année aux actionnaires (le dividende) est divisée en moins de parts. Donc il est supérieur. Le rachat d’action est avant tout un cadeau aux actionnaires. C’est le premier avantage.
L’autre intérêt de l’affaire, c’est que l’opération permet de soigner un ratio vénéré des analystes financiers, que leurs petits doigts agiles calculent sans cesse sur leur calculette Texas Instruments : le BPA, pour Bénéfice par action. Comme son nom l’indique, il s’obtient en divisant le bénéfice net de l’entreprise (ce qu’elle gagne concrètement après avoir payé ses charges et ses impôts) par le nombre d’actions en circulation. Bref, c’est la part de bénéfice qui revient, en théorie, à chaque actionnaire. Plus le BPA est élevé, plus l’analyste va conseiller la valeur à ses clients. Avec un peu de chance, l’action va monter et le patron de la boîte pourra déboucher le Dom Pérignon avec Bobonne.
Parenthèse fumeuse : à partir du BPA, notre ami analyste calcule un autre ratio barbare, le PER, le Price earning ratio, objet d’un culte proche du chamanisme. Mais ça, c’est une autre histoire, salement technique, et votre serviteur n’a pas les cannes pour vous l’expliquer aujourd’hui. Parenthèse refermée.
Quelles sont les conséquences à court terme d’un rachat d’actions ? Limpide : le cours de bourse augmente de 15 % en moyenne dans les deux mois suivant l'annonce d’une opération de ce type, selon une étude de JP Morgan en Grande Bretagne. L’actionnaire est content : il peut vendre ses titres avec un coquette plus-value. Le patron est content : action plus haute = plus de pognon à la fin de l’année. Imparable à première vue.
A première vue seulement. Car le rachat d’actions dénote surtout un manque total de vision à long terme. L’argent utilisé aurait pu être investi en recherche-développement, en marketing, dans l’outil de production. Il aurait pu être allongé pour racheter un concurrent. Placé sur les marchés pour faire des petits. Voire même, suprême audace, utilisé pour augmenter un peu les salaires et remotiver les troupes. Bref, il aurait pu servir à autre chose qu’à un coup financier de court terme.
Mais l’investissement dans l’économie réelle ne semble plus vraiment intéresser les grands groupes. Selon l’agence de notation Standard & Poor’s, les 500 principales entreprises des Etats-Unis ont dépensé 1 318 milliards de dollars en trois ans pour racheter et détruire leurs actions, une somme supérieure à leurs dépenses d'investissement (1 276 milliards). No comment.