Quand la Chine s’effondrera

Publié le par GameTheory

 

 

         http://www.phototheque.net/CHINE/1153-Shanghai.jpgAinsi donc, l’affaire serait entendue. La Chine n’aurait de destin possible qu’une domination économique planétaire aussi totale qu’implacable. Le péril jaune, version business : 1,3 milliards d’habitants avides de dépecer l’emploi de gentils Occidentaux. Plus de 2648 milliards de dollars de réserves de change à fin septembre. Un titre de champion mondial de l’export acquis de haute lutte face à l’Allemagne fin 2009. La France ? Hors-jeu, plombée par les vilaines 35 heures, siphonnée par le méchant Etat-providence, et emportée dans un déclin aussi inexorable qu’une bonne courante après un ravioli chinois de la porte d’Ivry. Quant aux Etats-Unis, il ne leur resterait que quelques années avant d’être terrassés à leur tour par l’ogre jaune, premier créditeur du pays (850 milliards de dollars de bons du Trésor).

 

La suite ? Une histoire écrite d’avance. Après le textile, le high-tech ou la sidérurgie, les derniers bastions de l’industrie occidentale seraient en voie de tomber, eux aussi, du côté bridé de la force : l’automobile, l’énergie, l’aéronautique, l’espace, la défense. Et les Cassandre de dresser la liste des prochaines victimes : Renault, PSA, Fiat ou Volkswagen éjectés par les Chery, Dongfeng, Geely ou SAIC ; la fusée Ariane 5, dézinguée par le lanceur chinois Longue Marche ; l’A320, le moyen-courrier d’Airbus, flingué par le futur C919 chinois ; ou le réacteur nucléaire EPR d’Areva, achevé par la concurrence low-cost des Shanghai Electric ou Harbin Electric.

 

Joli film catastrophe. Du bon scénario hollywoodien, bien manichéen, débité à l’envi sur toutes les antennes de France et de Navarre pour effrayer le péquin et lui extorquer, si possible, quelques RTT et sacrifices salariaux. La réalité est, comme souvent, un brin plus complexe. D’abord parce que la situation macroéconomique de la Chine est plus fragile qu’il n’y paraît : le pays traverse actuellement une vague d’inflation qui effraie jusqu’aux cacochymes du politburo. Le chiffre officiel de 5,1% masque des augmentations de prix de 60% en un an de certaines denrées alimentaires (ail, gingembre). En novembre, le montant total des crédits accordés depuis le début de l'année atteignait  841 milliards d’euros, quand Pékin avait fixé un plafond de 848 milliards pour l'ensemble de 2010.

 

 

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Côté immobilier, c’est encore pire. L’Académie des sciences sociales, basée à Pékin, a calculé qu'un tiers des grandes villes chinoises propose des appartements 30% à 50% plus cher que leur valeur réelle, avec des pointes à 70% à Fuzhou (1530 euros le mètre carré au lieu de 455 euros), ce qui exclut 85% de la population d’un éventuel investissement immobilier. L’inflation de l’immobilier devrait encore atteindre 15% en 2010, un chiffre bien supérieur à une hausse des salaires pourtant conséquente (13,1% en 2007, 11,7% en 2008 et 12,8% en 2009, selon l’OIT).

 

Les salaires, c’est l’autre indicateur qui effraie Pékin. Si la Chine peut toujours compter sur l’afflux massif e migrants des campagnes venant travailler dans les usines citadines pour des salaires de misère, les bugs du système commencent à se multiplier. Les grèves de l’été 2010, d’abord, chez Honda, Foxconn, ou Brother, qui avait abouti à des hausses de salaires allant jusqu’à 70%. Des pénuries criantes de main d’œuvres, ensuite, constatées à partir de février 2010 dans les provinces côtières, notamment dans le Guangdong, qui devraient s’aggraver dès 2015 du fait des conséquences de la politique de l’enfant unique. Des dérapages de compétitivité, enfin, dans des secteurs comme le textile ou le jouet, les hausses de salaires se répercutant directement dans les prix finaux. « Les patrons qui investissent aujourd’hui en Chine pour faire du low-cost se fourrent le doigt dans l’œil, assure un patron d’usine chinoise d’un groupe du CAC. Dans quelques années, les salaires auront doublé, tout le monde repartira gentiment au Vietnam, au Bangladesh ou en Malaisie. »

 

 

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L’autre problème du Made in China, c’est une qualité qui pose toujours question. Dans l’automobile, les constructeurs chinois restent toujours à la porte du marché européen, avant tout à cause de leurs piètres performances en termes de sécurité. La berline Brillance BS6, censée incarner le haut de gamme chinois en Allemagne, avait beaucoup fait parler d'elle en 2007, suite à son résultat baroque aux crash-tests de l'organisme allemand ADAC : une structure totalement démembrée par le choc, et les passagers avec. Trois ans plus tard, le retard chinois reste énorme : le Landwind CV9, monospace commercialisé aux Pays-Bas, n’a obtenu que deux étoiles au crash-test d’EuroNCAP en novembre dernier, contre cinq, la note maximale, à toutes les autres voitures testées.

 

L’aéronautique ? Pas mieux. Le jet régional ARJ-21, pourtant clairement pompé sur le vieux MD-90 de feu McDonnell Douglas, a toutes les peines du monde à passer le stade des essais en vol, après trois ans de retard de développement. Trop lourd, mal désigné, logiciels embarqués déficients, bref, un bide à peine masqué par les commandes de complaisance de compagnies chinoises contraintes par le pouvoir (Shanghai Airlines, Xamen Airlines), d’une compagnie d’un Etat satellite (Lao Airlines, du Laos), et un d’un loueur suce-boules américain, Gecas… qui les louera de toute façon à des Chinois. Le futur moyen-courrier C919, censé concurrencer les A320 et B737 dès 2016, semble parti sur des bases comparables, les 100 commandes annoncées en novembre émanant de compagnies chinois et du même Gecas.

 

 

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Il n’est pas question ici de contester la folle croissance chinoise, encore moins la nécessité pour le pays de se développer, mais de regarder ce qui se cache derrière les chiffres. Même ceux, sidérants, du commerce extérieur chinois sont à prendre avec des pincettes – des baguettes, plutôt. Prenez l’iPhone d'Apple, objet d’une religion quasi chamaniste dont ce blog avait fait état dans son tout premier post. L’appareil, selon les chiffres officiels, a creusé à lui seul le déficit commercial américain avec la Chine de 1,9 milliard de dollars en 2009, soit 0,8% dudit déficit. Conclusion premier degré : ces enfoirés de jaunes prennent le pain de la bouche aux bons Ricains à bidoche.

 

Erreur, répondent Yuqing Xing et Neal Detert, de l’université japonaise GRIPS, sorte de Sciences-Po de Tokyo : en examinant la chaîne internationale d'approvisionnement et en calculant la valeur ajoutée de chaque pays, les deux économistes ont calculé que sur un prix de gros de 178,96 dollars facturé par l'usine Foxconn (le sous-traitant d’Apple), la contribution chinoise est de 6,5 dollars seulement contre 59,25$ pour la japonaise (mémoires et écran Toshiba), 28,85 dollars pour l'allemande (modules Infineon) et 22,96 dollars pour la sud-coréenne (processeur et SDRAM Samsung). « Si les exportations d’iPhone de la Chine étaient calculées sur la base de la valeur ajoutée des travailleurs chinois, la valeur des appareils exportés par la Chine aux Etats-Unis ne serait que de 73,5 millions d’euros », expliquent les auteurs. Et non de 1,9 milliard. CQFD.

 

 

 

 

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Les deux économistes vont encore plus loin : ils démontrent, dans le cas de l’iPhone, qu’il serait tout à fait concevable de produire lesdits appareils sur le sol américain sans qu’Apple perde son statut de vache à lait pour les actionnaires. Même avec les salaires dix fois plus élevés d’ouvriers américains, les coûts de fabrication passeraient de 179 à 240 dollars (chiffre  déjà inférieur au coût de production de l’appareil en Chine en 2007), ce qui, pour un prix catalogue de 500 dollars en magasin, laisserait encore 50% de marge à la firme de Cupertino au lieu des 64% actuels. Et permettrait au déficit commercial américain de 1,9 milliard de dollars face à la Chine de se transformer en un excédent de 5,7 milliards face au reste du monde, grâce aux 11,4 millions de ventes d’iPhone hors-Etats-Unis en 2009…


Le calcul montre toute l’aberration de cette tendance, mode, exigence actionnariale – rayer la mention inutile- qui conduit les industriels occidentaux à s’engager dans le made in China à outrance avec un grégarisme aussi stupide que contreproductif. Selon le ponte d’un grand cabinet de consultants en stratégie (il y en a trois ou quatre, à vous de deviner), seuls 20% des filiales chinoises de groupes français seraient rentables. Airbus reconnaît que les A320 assemblés dans son usine de Tianjin coûtent plus cher en production que ceux produits à Toulouse ou Hambourg. Smoby relocalise dans le Jura la production de ses gros jouets, ce qui lui coûte moins cher. Adidas a entamé mi-2008 un retrait en douceur de sa production en Chine, direction l’Inde, le Laos, le Cambodge et le Vietnam, en commençant par les chaussures.

 

 

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La Chine va-t-elle pour autant s’effondrer ? Il y a là un pas que SoBiz, dans sa grande mansuétude, s’abstiendra de franchir. Quoique : même du côté des financiers à cigare, l’hypothèse se fait jour d’une fin anticipée du rêve chinois de toute puissance. Corriente Advisors, un hedge fund basé au Texas, avait déjà prévu l’éclatement des subprimes puis la crise des dettes souveraines européennes ; le nouveau dada du taulier, Mark Hart, c’est que la prochaine bulle à exploser sera celle de la Chine. Bulle immobilière (3,3 milliards de mètres carrés libres, quand la Chine en construit toujours 200 millions par an), bulle financière aussi (les crédits risqués représenteraient 98% des fonds propres des banques). Mark Hart assure même que la dette souveraine chinoise serait de 107% du PIB, soit cinq fois plus qu’annoncé. Décidément, vivement 2011.


 


Publié dans Attentats

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P
Pas mal du tout cet article ... Très intéressant ce sujet chinois. Je pense que la chine est aussi forte que faible maintenant !
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J
<br /> J'ai lu l'autre jour que les IDE vers la Chine avaient augmenté de 17,4 % en 2010. Un tel rythme de croissance est de tte évidence "bullifiant", sans doute à mettre en parallèle avec les prix de<br /> l'immobilier à Paris (+20% sur la même période).<br /> <br /> Le problème de la Chine viendra aussi de la surréaction de la finance. En cas de retournement de conjoncture, les capitaux vont fuire à vitesse grand V. Dans le cas des crises asiatiques de la fin<br /> des années 90, c'est au moins autant ces mouvements colossaux d'argent que la remise en cause des fondamentaux de leur croissance qui ont ruiné la Thailande, l'Indonésie, la Corée...<br /> <br /> Je te recommande vivement la lecture de "le Pouvoir de la finance" d'André Orléan pour une vision intelligente et originale de la rationnalité la spéculation et des crises financières.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> @ toots<br /> <br /> Effectivement,la Chine s'imposera sûrement comme une très grande puissance malgré une éventuelle explosion de sa bulle, mais peut-être pas avec la domination totale pronostiquée par les médias avec<br /> un bel unanimisme.<br /> <br /> @jbd<br /> <br /> Les articles sont saisissants ! J'avais aussi pu voir il y a quelque temps des quartiers de Tianjin totalement vides, alors que le prix du mètre carré dans certains quartiers est proche de celui de<br /> certaines villes françaises...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> http://www.actuasia.com/reportages.html<br /> <br /> Les copains d'ActuAsia était sur le coup d'Ordos avant le NYT. Le lien vers la page avec l'excellent reportage de Joris Zylberman (Ordos, ville fantome)<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Sur l'immobilier, il y a carrément des villes fantomes en chine. Ci-dessous un papier du NYT sur Ordos, mais d'après des amis journalistes à Pékin et Shanghai il y en a plusieurs (combien ?) en<br /> Chine. De mémoire, ils m'ont assuré aussi que quelque chose comme 1/3 ou la moitié des bureaux de Pudong (quartier d'affaires de Shanghai) est... vide.<br /> <br /> http://www.nytimes.com/2010/10/20/business/global/20ghost.html?_r=1<br /> <br /> <br />
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