Fannie, Freddie et les autres

Publié le par GameTheory



     Il fallait les entendre frétiller d’aise, nos thuriféraires des marchés, ce matin sur BFM. Ca gloussait, ça caquetait, ça se félicitait, ça se promettait une « séance Broadway » à la bourse de Paris, ça devisait sur le mode « le pire qui est maintenant passé ». On allait voir ce qu’on allait voir, nom d’un warrant, le système financier était de retour, les lendemains allaient à nouveau chanter place de la Bourse, rideau sur la crise financière, les subprimes et tout le toutim. Alléluia, mes frères, alléluia : l’auguste pragmatisme des autorités américaines avait vaincu.

     Etrange allégresse matinale. Que saluaient donc ainsi nos amis analystes et gérants de fonds ? Une nationalisation. Façon Mauroy 81. Celle des fameuses institutions financières Freddie Mac et Fannie Mae, que l’Etat américain vient de reprendre sous son aile contre une somme pouvant atteindre les 200 milliards de dollars, en fonction des conditions de marché.

     Le gotha de la finance libéralisée qui salue le sauvetage par l’Etat de deux géants du marché hypothécaire ayant lamentablement merdé, il y a de quoi rire jaune. Certes, l’Etat américain est devenu coutumier de ce genre d’interventions salvatrices, surnommées « Sunday actions » car elles sont souvent annoncées le dimanche : la banque d’affaires Bear Sterns il y a quelques mois, les compagnies aériennes après le 11 septembre, les caisses d’épargnes US à la fin des années 80. Les Etats-Unis sont un pays interventionniste, seuls les mauvais traducteurs franchouillards du capitalisme américain ne s’en sont pas encore rendu compte.




     Mais là, on touche au sublime. Ne serait-ce que par la nature même des entreprises nationalisées. Mettons d’abord une chose au point : Freddie Mac n’est pas un vieux cow-boy à bottines en croco, Fannie Mae n’est pas sa cousine du Nebraska au brushing nihiliste. Pire, ces deux personnages n’existent pas : Fannie Mae est un acronyme approximatif de Federal National Mortgage Association, créé en 1938,  Freddie Mac de Federal Home Loan Mortgage Association, créé en 1970. Le boulot de ces deux institutions, c’est de récupérer les crédits hypothécaires des banques, bref, les prêts accordés aux ménages pour acheter leur logement. Elles en contrôlent la moitié aux Etats-Unis, soit 3600 milliards d’euros.


     En clair, les deux organismes reprennent sur eux le risque du crédit, à savoir des mauvais payeurs qui ne rembourseraient pas leurs traites. La petite subtilité, c’est que depuis leur privatisation – Fannie Mae a longtemps été publique, les deux organismes transforment les crédits hypothécaires en titres qu’ils mettent en Bourse.







     On appelle ça la « titrisation », et c’est une des plaies de la finance moderne : au fur et à mesure des transformations en produits boursiers, on cerne de moins en moins le risque attaché aux créances. Et quand le marché immobilier US s’effondre, les bouseux du Crédit Agricole ou des Caisses d’Epargne françaises, qui voulaient faire les malins en se mêlant de finance internationale, se rendent compte qu’ils ont acheté des centaines de millions d’euros d’actifs pourris sur les marchés internationaux.

     Le plus navrant dans cette histoire de Freddie, de Fannie et de Mac, c’est que le Trésor américain fait encore la démonstration que c’est au secteur public de payer les errements du système financier. Que le risque, qui justifie dans la théorie libérale les énormes gains qu’on peut faire en Bourse, est habilement transféré sur un Etat sur lequel l’aréopage des financiers à cravate Hermès s’ingénie pourtant à cogner à bras raccourcis.

     En clair, quand ça marche, les profits vont dans les poches des actionnaires ; quand tout s’effondre, c’est le contribuable, à travers l’Etat, qui est appelé à la rescousse. Pile : je gagne. Face : tu perds. Individualisation des profits, socialisation des pertes, le nauséabond principe ne date pas d’hier. Il a manifestement encore de beaux jours devant lui.



 

Publié dans Attentats

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G
Bah, le sujet vaut bien quelques posts, Botica ;-)<br /> <br /> Assez d'accord avec le paradoxe évoqué dans votre post : si l'Etat n'intervient pas, faillite générale et ruine des épargnants. Pas bon, pas bon du tout. Si l'Etat agit, scandale évoqué ci-dessus : individualisation des profits, socialisation des pertes... Pas bon non plus.
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B
C'est dingue comme ce sujet nous inspire !<br /> J'ai été grillé d'une demi-heure !<br /> <br /> Bravo !
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