Cinq bides pour 2010, épisode 2 : Leclerc, arrête ton char
Ben on l’avait presque oublié, celui-là. Ses 56 tonnes, ses 7 mètres de long, ses 70 km/h en vitesse de pointe. Ah, ce bon vieux char Leclerc... La gloire militaire française, la fierté technologique de notre armée, le « meilleur char du monde », selon ses thuriféraires à gilets multipoches. L’engin, conçu par le vénérable constructeur Giat Industries (aujourd’hui Nexter), aurait dû être le prototype du char d’assaut du 21ème siècle. Il n’aura été qu’un gouffre financier doublé d’un bide improbable, que SoBiz s’en va vous conter de sa plume fourbe et malveillante.
Pourquoi ressortir cette triste affaire en 2010 ? Parce qu’elle pèse toujours, et pour longtemps, sur les comptes d’un ministère de la Défense qui n’en avait guère besoin, entre les surcoûts de l’A400M, l’achat régulier de Rafale à papy Dassault en attendant des ventes export qui ne viendront jamais, et les multiples gouffres financiers de notre bien-aimée défense nationale, type porte-avion Charles-de-Gaulle ou les antédiluviens avions de transport Transall. Oui, ceux où les hôtesses ont une coupe GI Joe et du poil dru au mollet.
Douze ans après son entrée en fonction effective, en 1998, le bilan du Leclerc se passe de commentaire. Seulement deux utilisations sur les théâtres d’opération (Kosovo et Liban), et une palanquée de bides techniques : les 17 premiers chars se sont révélés inaptes à une quelconque activité militaire et ont été retirés du service sans jamais avoir servi. Sur les 34 chars suivants, 27 ont également été mis au rebus sans servir, les sept derniers étant transformés en dépanneurs. En résumé, 44 chars Leclerc n’ont jamais servi à l’armée, soit 10% de la commande (404 chars).
Du petit lait pour Jean-Pierre Pernaut. Tout comme l’évolution du prix de l’engin au fil des années. Plus de 8,5 millions d’euros l’unité, selon les calculs de Nexter. 15,9 millions, d’après la Cour des Comptes fin 2001. 16 à 17 millions, selon le député Gilles Carrez en 2008. Tout cela pour un engin qui, dixit les colons, tombe en panne en moyenne toutes les 36 heures, et que la chute du mur de Berlin a rendu obsolète avant même sa première livraison, les armées préférant désormais des machines plus petites et plus maniables, type VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie).
La campagne export du Leclerc, aux Emirats Arabes Unis, aurait pu redresser un peu l’image du char français. Loupé : elle a viré à l’aimable bouffonnerie. La vente mal goupillée de 388 chars n’aura été qu’une longue histoire d’arrêts de productions, de refus des Emiratis de nombreux engins pas aux performances attendues, d’envoi de centaines d’ingénieurs pour résoudre le problème, le tout avec une marge négative qui coûtera des centaines de millions d’euros par an à Nexter au début des années 2000.
Fin de l’histoire ? Loin de là. Nexter et la DGA s’acharnent à tenter de vendre des chars d’occasion à l’export : la Colombie serait intéressée par une quarantaine d’exemplaires, selon la Tribune et le blog Secret Défense, histoire de couper la chique aux T-90 russes du turbulent voisin vénézuélien Hugo Chavez. L’opération serait une aubaine pour les budgets de la défense française : selon la loi de finances, le coût du « maintien en condition opérationnelle » du char Leclerc s'élève à 113 millions d'euros par an, alors même que près de 150 sont « sous cocon », autrement dit sous bâche et inutilisables à court terme. Décidément, un bien bel investissement.