L'imposture Jacques Marseille

Publié le par GameTheory




        

         Dans les colonnes du Point, il est historien. Dans Enjeux les Echos, il est économiste. Sur le plateau d’Yves Calvi, il est historien de l’économie. On l’a aussi connu professeur, écrivain, pamphlétaire, chroniqueur. Bientôt, qui sait, tourneur fraiseur, philologue ou spécialiste des coléoptères en milieu humide.  Diantre, que cet homme est multicarte. Mais tous ces titres, réels ou usurpés, ne pourront pas éternellement cacher la vérité : Jacques Marseille, prof à la Sorbonne passé du PCF à la droite poujado comme Sarkozy de Milton Friedman à Colbert, Jacques Marseille, donc, est un imposteur.


 

          Les connaissances historiques du bonhomme ne sont pas en cause. Son talent de communicant non plus. Non, l’imposture, chez Marseille, c’est cette façon de tordre l’histoire, de la dépecer, d’en occulter le contexte et la complexité, de déformer au forceps les faits économiques pour les faire rentrer dans un raisonnement qui paraît d’autant plus inattaquable qu’il est débité au kilomètre sur toutes les antennes : les Français ne branlent rien (« Les bons chiffres pour ne pas voter nul en 2007 »), les immigrés coûtent cher (dans le Point), les fonctionnaires sont des sangsues (La guerre des deux France, celle qui avance et celle qui freine, 2005), l’Etat est un monstre névropathe de la dépense (Le grand gaspillage, les vrais comptes de l’Etat, 2002).

 



 Difficile de revenir sur toutes les affirmations du gazier. C’est d’ailleurs tout le principe : des chiffres à la douzaine, balancés jusqu’à la nausée, des statistiques non sourcées façon Baverez (démonstration ici), des raccourcis qui perdent le contradicteur dans une vague de pseudo-vérités incontestables car rabachées. Ecoutons donc le gars Marseille, dans une interview de Marianne, où Jean Peyrelevade avait hérité –humour saisissant- du rôle du contradicteur gauchiste : « Le New Deal est largement un mythe. Roosevelt n’a fait que « bricoler ». En fait, la seule vraie politique de relance qui ait réussi, c’est celle de Hitler. Unerelance par l’investissement dans les infrastructures et l’armement, sans inflation !!! Un «  modèle » dont il serait imprudent de s’inspirer… »

 

          Correction : personne n’a jamais dit que le New Deal de Roosevelt avait mis fin à la crise de 1929. Il a juste mis un peu de baume sur les plaies béantes d’une crise provoquée par des financiers qui, eux, sont évidemment absents de la diatribe du chroniqueur du Point. En clair, Marseille cogne sur le pompier qui lutte à la pipette contre un énorme incendie, jamais sur celui qui l’a allumé. Qu’importe si le New Deal a quand même fait baisser le taux de chômage de 7 points (24,9% en 1933, 17% en 1939), fait augmenter la population active de 3,5 millions de personnes et empêché les Américains de crever la bouche ouverte ( voir à ce sujet l'excellent post de l'excellent blog "Déchiffrages" de Jean-François Couvrat). Ca ne rentre pas dans le raisonnement de Marseille. Pas dans l’angle, dirait mon chef.




 

          Autre exemple : les dépenses de santé. « 8,9%, c'est le montant des dépenses publiques de santé en pourcentage du PIB en France, assène Marseille sur son site. Le pourcentage le plus élevé de tous les pays de l'OCDE. Il est de 8,1 % en Allemagne, de 7,6 % au Danemark et aux Pays-Bas, de 7,5 % en Suède, de 7,2 % en Belgique et au Portugal, de 7 % aux Etats-Unis et de 6,7 % au Japon. » Une rapide recherche sur internet aboutit à d’autres conclusions : USA largement devant, avec plus de 15%, puis Suisse, puis France, 11%. Source OCDE, s’entend. Faudra m'expliquer, vieux.



        [ Mise à jour, 22 février : Tulipan me signale que Marseille parle de dépenses publiques de santé, et moi de dépenses de santé tout court. Merci à lui, c'est tout à fait exact. Mais le constat est identique  : la dépense PUBLIQUE de santé par habitant est supérieure aux USA qu'en France, comme le prouve le graphique ci dessous (dépenses publiques en bleu, privées en rouge). ]




 

          En plus de chiffrer, Marseille critique, souvent. Propose, parfois. Et là, ça dépote, ventrebleu. Le chroniqueur du Point prône une « révolution fiscale », qui aboutirait à un taux d’impôts unique de 20%, la « flat tax », qui remplacerait la progressivité de l’impôt sur le revenu, et toucherait aussi les retraites et les placements. Idéal en termes de justice sociale, notamment pour le smicard à 1037 euros net, qui au lieu de recevoir sa prime pour l’emploi de 900 euros, paierait un impôt dont il était jusqu’alors dispensé. Claude Bébéar, le parrain du business français, dans la même tranche que Mouloud le vigile de Garonor, fallait y penser.




 

          Autre proposition : faire grimper la TVA à 25% au lieu de 19,6%, et baisser en conséquence les charges sociales des employeurs et salariés. Autrement dit, on taxe une consommation déjà sinistrée [update 24 février : assertion démentie par les derniers chiffres Insee et Verel en commentaire. Je reformule : "qui résiste plutôt bien"], et on frappe directement au portefeuille les plus modestes, qui ont une propension à consommer par définition plus forte que les riches. Pour faire joli, Marseille ajoute qu’il y aurait un taux de 2,5% pour les produits de première nécessité. Malhonnête : jamais un tel taux ne serait toléré par l’Union européenne, cf l’affaire de la TVA sur la restauration à 5,5%.

 

          Pour finir, Sobiz aimerait apporter sa contribution au grand moulin à chiffres de Jacquot. Allons-y donc : la part des dividendes versés dans la valeur ajoutée est passée de 3,2 % en 1982 à 8,5 % en 2007. Et selon l’agence de notation Standard & Poor’s, les 500 principales entreprises des Etats-Unis ont dépensé 1 318 milliards de dollars en trois ans pour racheter et détruire leurs actions, une somme supérieure à leurs dépenses d'investissement (1 276 milliards). Soit deux fois le plan de relance d’Obama.


 



Publié dans Attentats

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C
Concernant la TVA il existe déjà un taux de 5,5 et un autre de 2,1%...
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I
<br /> Excellent article. Où irait-on si l'on pouvait impunément mettre en lumière des vérités qui fâchent. Rassurez-vous, vous pourrez dormir tranquille ce soir, Jacques Marseille n'est plus de ce monde<br /> ...<br /> <br /> <br />
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F
Désolé pour cette intervention tardive.<br /> <br /> Ma sœur m’ayant signalé cet article (si, pour de vrai), je me permets de faire une petite remarque. Juste après avoir dit que j’étais globalement d’accord et séduit par la clarté des arguments.<br /> <br /> Il s’agit de cette fameuse TVA à 25%. Vue par ce philistin, appliquée dans son système, elle serait évidemment injuste. Surtout si elle s’ajoute à un impôt encore plus cruel.<br /> <br /> D’autre part, il est vrai qu’un taux réduit pour les produits de première nécessité est difficilement applicable dans le cadre Européen. Les Danois qui avaient instauré cette fameuse TVA en ont vu tout l’intérêt détruit suite aux admonestations de la Commission.<br /> <br /> Derrière tout cela il reste une réflexion que personne ne souhaite entreprendre, le plus souvent en raison de prés requis idéologiques. La TVA étant considérée comme un impôt injuste. La question est de savoir si le financement de la solidarité doit continuer à être supporté par les seuls travailleurs ou par la richesse produite.<br /> <br /> Dans un contexte différent, le renchérissement du à l’augmentation de la TVA peut-être compensé par l’intervention de l’Etat. Certes les livres deviennent beaucoup plus chers mais l’existence de vastes bibliothèques gratuites les rendent accessible à tous. Sachant que cette TVA n’y suffirait pas. D’autres taxes, sur les produits financiers seraient également nécessaires.<br /> <br /> Quant à savoir si cela convient à l’Europe, il faudrait commencer par en discuter. Avec des idées claires de préférence. Autre débat, sans doute. Mais c’était pour resituer cet argument, sans le plomber de quelques a priori convenus.<br /> <br /> PS : à Marc <br /> Comparer les dépenses publiques Françaises et Américaines n’a pas de sens puisque l’essentiel des dépenses de santé aux USA est supporté par le privé. C’est bien l’addition des deux qui apporte un éclairage instructif. Lequel ? On prétend que c’est le poids du public qui renchérit les coûts. Or, malgré la mainmise du privé, les dépenses de santé aux USA sont largement supérieures aux nôtres. Pour quelle efficacité ? Une diminution constante de l’espérance de vie. Personne ne dit que notre système est parfait. Mais le modèle que l’on nous présente est sacrément faisandé.<br /> <br /> Amicalement<br /> Franz
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M
Bonjour à tous,<br /> <br /> Concernant les dépenses de santé, Jacques Marseille parle en % du PIB; le graphe ici est en dollars par habitant, ce qui n'est pas la même chose.<br /> J'ai vérifié les chiffre directement sur l'OCDE<br /> http://www.oecd.org/document/60/0,3343,fr_2649_34631_32368700_1_1_1_37407,00.html<br /> Sur l'excel à télécharger, je prends la dépense total en % du PIB, je multiplie par la part du public et je tombe sur ces chiffres là:<br /> France : ~8.8 %<br /> Allemagne: ~8.2 %<br /> Norvege: ~8.1 %<br /> Luxembourg: ~7.3%<br /> Etats-Unis: ~6.8 %<br /> <br /> :|
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G
Ce premier paragraphe, cher Guillaume, s'appelle une accroche. Quelques lignes pour titiller l'attention du lecteur, et donner l'angle du papier qui suit. Le "donc" est un mot destiné à rappeler le sujer, qui était un peu éloigné. Ce n'est pas un agent de conséquence.<br /> <br /> Je constate par ailleurs que vous reconnaissez que Marseille triture les chiffres. C'est exactement ma thèse.
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