Cinq bides pour 2010, épisode 3 : l’attaque contre la Grèce
Péril sur la maison Europe, les cocos. La gentry de la finance anglo-saxonne a décidé d’attaquer la Grèce. Et elle n’y va pas de main de main morte, foutrebleu. Le marché du grec-frites-salade-oignons est au plus mal. Le cours de la moussaka pique du nez, la feta fait du yoyo, le premier ministre Papandréou se pochtronne à l’ouzo frelaté. Pire, en manque chronique de drachmes (l’ancien nom de l’euro), la Grèce risque de ne pas avoir les moyens de s’offrir les délectables Rafale et exquises frégates multimissions (FREMM) aimablement proposés par les industriels français.
Bref, ça sent le sapin au pays des oliviers. Il y a des signes qui ne trompent pas : le CDS de la Grèce, - Credit Default Swap, c’est-à-dire l’assurance que les banques contractent pour se prémunir contre un défaut de paiement du pays – a atteint des sommets inconnus jusqu’alors : 428 points de base selon Libé, près de deux fois celui du Liban et trois fois celui du Maroc. En clair, les marchés estiment le risque de faillite plus important en Grèce que dans des pays en développement. Moche, ça, très moche.

Pourtant, les chiffres sont têtus : le déficit public grec (12% du PIB) ne se distingue guère des 11% des Etats-Unis et de l’Espagne. Il est comparable au chiffre du Royaume-Uni (plus de 12%), et reste bien inférieur aux 14% irlandais. Côté dette, le chiffre grec de 123% du PIB reste dans les normes de l’Italie (127%) et loin des chiffres du Japon (197%). Que la Grèce truque ses chiffres ? La belle affaire. Elle le fait depuis des décennies, sous la bienveillante myopie de la Commission européenne, et avec le soutien actif des mêmes banques anglo-saxonnes qui l’attaquent sur les marchés, via sa dette et via l’euro.
Qui sont les donneurs de leçon de la Grèce, au fait ? La banque d’affaires Goldman Sachs, d’abord. Oui, cette même Goldman Sachs qui aidait les Grecs à camoufler leur dette sous d’obscures opérations sur les devises, histoire que cette dette ne soit pas prise en comptes dans les chiffres officiels. Autre redresseurs de torts : les agences de notations Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, ces formidables extralucides qui notaient « A » la banque Lehman Brothers quelques jours avant sa faillite.
Soyons sérieux : la Grèce va mal, mais rien ne justifiait une attaque spéculative de cette ampleur. Le pays ne fera pas faillite, pas plus que les autres Etats visés par la théorie du « à qui le tour » - Portugal, Espagne, Irlande, Lesotho ou Swaziland. A qui profitent ces rumeurs de faillite ? Aux banques et aux hedge funds avides de refourguer au prix fort les CDS de leur portefeuille, ou d’augmenter les taux d’intérêt des dettes des Etats. L’un d’eux a du CDS portugais dans son slip kangourou ? Une brève vaguement téléguidée sur les Portos dans le Wall Street Journal et pouf, le CDS s’envole, et les profits du hedge fund avec. Magique.
La bonne nouvelle de l’histoire, c’est que nos amis financiers, lassés de cogner la seule Grèce, se sont aussi attaqués à l’euro. Et qu’ils ont réussi à le toucher : la monnaie européenne a perdu près de vingt centimes face au dollar. En gros, la crise grecque a réussi à engager le meilleur plan de relance dont l’industrie européenne ait pu rêver : comme elle produit en euros et facture en dollars, chaque centime de recul de l’euro entre directement dans la case bénéfice des boîtes. Chez EADS par exemple, 10 centimes perdus par l’euro équivalent à 1 milliard de résultat opérationnel en plus. Selon les prévisions des économistes, une chute de 10 % de la monnaie unique face au dollar doperait de 0,2 à 0,3 point le PIB de la zone euro en un an.

A l’inverse, la production des sites délocalisés en zone dollar ont leurs profits rapatriés en euros : ils sont mécaniquement touchés par la baisse de ce dernier. Plus j’ai de sites en zones de dollars, plus mes profits sont dégonflés. Ce n’est qu’un juste retour des choses : les industries européennes, et notamment les PME, avaient fait des efforts gigantesques pour compenser la baisse du dollar. Chaque centime de baisse, c’était de la perte, donc du plan social. On ne peut qu’espérer que l’euro descende encore jusqu’à son niveau « normal », disons 1,15 dollar, ce qui aboutirait à une compétition moins faussée par les changes.
L’autre bonne nouvelle générée par la crise grecque, c’est qu’elle oblige l’UE à sortir de sa léthargie en termes de politique économique commune. Les Allemands évoluent – très doucement, certes - sur leur leur délire psychotique de la puissance du roi Deutsch Mark, qu’ils avaient reporté sur l’euro. Et les gouvernements européens sont obligés d’agir, sous peine de voir le père DSK et son gros FMI débarquer avec ses milliards de dollars au secours de la Grèce, façon Attaque de la moussaka géante. Pas de doute : la course à l’échalote a parfois du bon.