Bébéar, le roi des éléphants
Il y a des phrases, comme ça, qui se finissent trop vite. Qui laissent un petit coup d’inachevé sur la langue. Prenez le titre du Monde d’aujourd’hui, page 16 : « Claude Bébéar présidera un comité des sages chargé d’éviter les excès ». Là, on attend la suite. On guette la chute, la saillie, le climax. Je sais pas, moi, un bruit de cimbales, un gimmick sonore façon Guy Golo, un « sic », un pouêt-pouêt, un ouarf, un « heyyy ». Un bandeau « insolite », un LOL, un PTDR, un truc, quoi.
Claude Bébéar. Comité des sages. Sérieusement. L’homme dont on baise la bague pour se faire adouber patron du CAC devra donc « veiller à ce que les rémunérations des dirigeants d'entreprises ayant recours au chômage partiel ou à des plans sociaux respectent des principes de mesures et d'équilibre ». Diantre. Autant mettre Benoît XVI en VRP de Durex, Jérôme Rothen au ministère de la Culture, et éditer les textes de Bernard Ménez chez la Pléiade.
Le milliardaire Richard Branson, dentu fondateur de Virgin, avait eu une idée assez comparable. Une association baptisée « the Elders », une sorte de comité des sages, un peu comme dans les villages africains, qui se réunissent régulièrement pour faire le point sur l’avancée du monde, et user de leur poids moral en cas de besoin. La différence, c’est que bizarrement, Claude Bébéar n’est pas de l’auguste aréopage. On lui a, de manière incompréhensible, préféré Nelson Mandela, ainsi que l’autre prix Nobel de la Paix, l’archevêque Desmond Tutu, ou le fondateur du microcrédit, Muhammad Yunus.
Ce fâcheux oubli est donc réparé. Bébéar le Sage aura son propre comité. Lui, le patron historique de l’assureur Axa. Lui, le Don Corleone du business français, l’homme qui fait et défait les princes du business comme il chasse le grand fauve en Afrique. Le départ de Messier de Vivendi ? Bébéar. La victoire de la BNP sur la Société Générale lors du raid boursier sur Paribas ? Bébéar aussi. L’échec de l’OPA de Bolloré sur Bouygues ? Bébéar encore. Administrateur d'une demi-douzaine de sociétés du CAC, grand mufti de plusieurs think tank dont le célèbre Institut Montaigne, "CB" a été le parrain incontournable du business français pendant trente ans.
Combien gagnait le sage Bébar chez Axa, déjà ? De l’ordre de trois millions d’euros de salaires par an, sans compter les stock-options et jetons de présence, avant de laisser les manettes au télébreux Henri de Castries. Le prix de la sagesse, certainement. « Bébéar et ses amis font partie de ceux qui ont encouragé une incroyable course à l’échalote des rémunérations, parfois déconnectée des performances des sociétés », estimait, en 2005, Pierre-Henri Leroy, président de Proxinvest et auteur d’études annuelles sur les revenus des patrons et les plans de stock-options.
Reste maintenant à désigner les membres du fameux comité. SoBiz y a réfléchi : on partirait sur du Igor Landau (ex patron d’Aventis, parachute doré de 10,5 millions d’euros) et du Antoine Zacharias (ex-boss de Vinci, 12 millions de parachute doré et 170 millions d’euros de stock-options). Un peu de Forgeard (8,5 millions), un zeste de Daniel Bouton (il a bien été grand gourou de la « corporate governance » Afep-Medef). Et pour l’international, un bon gros Madoff en casquette, un obscur directeur financier de Freddie Mac, et l’ex patron d’Enron, Kenneth Lay.
Ah zut, il est mort celui-là. Kerviel, alors. Ou Daniel Bernard. L’avantage des comités des sages, c’est que chez les gros bonnets du bizness, on a l’embarras du choix.