Thales - Dassault, la vraie histoire

Publié le par GameTheory




          Il y a des infos comme ça qui vous en touchent une sans faire bouger l’autre. Prenez le journal du jour : Dassault rachète 20% de Thales à Alcatel Lucent au nez et à la barbe d’EADS. Pas de quoi danser la ronde du bas-Léon, le pilé-menu ou la Gavotte de Lannilis au son du biniou et de la bombarde. Au moins à première vue.

 

          Et pourtant, ami lecteur, et pourtant. L’affaire est stratégique, au moins autant qu’obscure. Elle risque même de donner le coup d’envoi d’une grande réorganisation de l’industrie de la défense. Une consolidation européenne qui décidera si, oui ou non, l’Europe peut se doter de champions type Lockheed Martin, Northrop Grumman ou même Boeing, qui réalise 50% de ses ventes dans la défense.

 


          Alors reprenons du début. Alcatel Lucent, équipementier télécom franco-américain, est dans une béchamel infernale : résultats moisis, parts de marché en berne, situation financière critique. Sobiz avait raconté les exploits de l’ami Tchuruk, grand artisan de cette magnifique success story, ici. Alcatel Lucent, donc, a un urgent besoin de cash. Philippe Camus, le nouveau président, décide de vendre sa participation de 20% dans le capital de Thales, un vieil investissement jugé plus vraiment stratégique.


 


 


          Que fait Thales, au juste ? De l’électronique de défense : des systèmes radars, des logiciels pour les cockpits d’avion, des systèmes de guidage de missiles, des drones, et même des satellites, avec son partenaire italien Finmeccanica. Bref, du lourd, du très lourd. Et du stratégique, assez en tout cas pour que l’Etat français, actionnaire à 27% et grand client à travers l’armée, surveille avec attention l’avenir de la boîte.



Le groupe européen EADS ne cache pas son intérêt, avançant des synergies évidentes. Mais aux yeux de Sarkozy, pas question que le précieux fleuron de l’électronique française tombe dans le giron du groupe dirigé par Louis Gallois. Fidèle à sa légendaire binarité, le président a un avis très tranché sur le groupe européen : un sacré merdier franco-allemand fabricant des avions, des hélicoptères et des fusées, où de redoutables chevaliers teutoniques à bacchantes cherchent à dépouiller le séculaire savoir-faire de moustachus ingénieurs toulousains. Pas entièrement faux, cela dit, mais c’est une autre histoire.

 




La décision est vite prise :  l’Elysée choisit un repreneur "acceptable" de ces 20%, Dassault. Le groupe de papy Serge cumule tous les avantages : un industriel, franco-français, sénateur UMP, propriétaire d’un quotidien -le Figaro- pas fondamentalement opposé au pouvoir en place. Last but not least, Dassault ne peut pas trop jouer au fanfaron, l’Etat français étant le seul client de son avion de chasse, le Rafale, qui représente quand même 20% de son chiffre d’affaires, et n’a toujours pas réussi à gagner un marché à l’export. Même chez l’ami Khadafi, c’est dire.

 

La suite ? Une jolie pièce de boulevard, Georges Beller et Micheline Dax en moins. Acte 1 : Sarko interdit à EADS de faire une offre sur Thales. Pas difficile : l’Etat français est actionnaire d’EADS, à travers la Sogeade, société codétenue avec le groupe Lagardère. Qu’importe si Louis Gallois, le patron du groupe européen, a dans sa besace une offre financièrement intéressante, de l’ordre de 1,8 milliard d’euros selon l’AFP. Qu’importe si le rapprochement de Thales avec EADS, lui aussi présent dans l’électronique de défense, fait sens au plan industriel, au point d’avoir été régulièrement envisagé.

 

 

          Acte 2. Eté 2008 : Sarko rencontre Serge Dassault. La discussion ressemble à peu près à ça.

- « Serge, mon ami Serge, tu as 4 milliards de cash, Thales doit avoir un actionnaire industriel français. Tu vas me racheter ces 20% avec tes pépètes, hein, je compte sur toi.

- Mais, euh…

- Merci, Serge. Tu es vraiment un ami. »







          Acte 3. Après avoir clamé sur tous les tons il y a deux mois que Dassault n’est pas intéressé par Thales, et qu’il souhaitait même vendre sa part de 5% détenue par la holding, Charles Edelstenne, PDG de Dassault Aviation –à droite sur la photo ci-dessus, surnom en interne : « l’employé »-  mange son chapeau, sa fine moustache et sa chemise bicolore à rayures, et confirme l’intérêt de l’avionneur français pour les 20% de Thales. Les deux groupes ont confirmé aujourd’hui être en négociations exclusives. Le PDG de Thales, Denis Ranque, se dit même enchanté de cette solution, alors qu’il sait très bien qu’elle implique de lui sectionner l’occiput à plus ou moins long terme. Emouvant, tout cela, émouvant.

 

          Tout ceci s’apparenterait à une réjouissante gaudriole si le choix de cette solution franco-française ne contredisait pas totalement les discours de Sarko et Fillon appelant à une défense européenne, des champions continentaux. Si Philippe Camus, le patron d’Alcatel Lucent, n’était pas un ancien coprésident d’EADS, condamnant tout rachat de Thales par EADS à une légitime suspicion. Et si ce choix très politique de Serge Dassault, un industriel de 83 ans pas vraiment intéressé par Thales à l’origine, n’exhalait comme un léger parfum de moisi.




Publié dans Attentats

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G
Tout à fait d'accord, Botica. Dassault exige manifestement le contrôle opérationnel du groupe avec seulement 25% du capital, ce qui est anormal. <br /> <br /> La balle est désormais dans le camp de l'AMF, qui peut décider d'obliger Dassault à une OPA sur tout le capital de Thalès. Auquel cas, évidemment, Dassault renoncerait. Mais l'hypothèse paraît peu probable vu le soutien de l'Etat à la solution Dassault...
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B
Ce qui est encore plus pourri, c'est que l'ami Dassaut, qui passe son temps à hurler (et je suis modéré, comparé aux termes qu'il emploie) après les impôts et le trop d'état, alors que l'état français est son client principal (quel surcoût pour le contribuable français, le Rafale, qu'on a bien sûr préféré à l'Eurofighter, prestige et indépendance nationale obligent), va prendre le contrôle d'une boîte aussi importante que Thales sans avoir à faire une OPA. Bien sûr, l'État restera l'actionnaire majoritaire... Bien sûr, l'État et Dassaut n'agissent pas de concert...<br /> Bref, une excellente affaire pour lui.<br /> Et ne contrarions pas tous ces grands noms de l'industrie qui se sont pris de passion pour les médias, les Lagardère, Bouygues, Dassaut, et j'en oublie... avec une loi limitant leur influence dans la presse. Les médias ont besoin de leurs capitaux. Curieux que ce soient toujours les marchands d'armes ou de travaux publics, qui ne vivent que de la commande publique, qui aient autant envie d'entamer des carrières de patrons de presse...
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