Tata style

Publié le par GameTheory



   
    Au début, il faisait un peu rigoler tout le monde, l’ami Rajan Tata. Une bonne bouille d’Indien sympa, un nom rigolo pour un groupe dont on cernait pas vraiment le métier, entre les télécoms, l’acier (Tata Steel), le textile, l’automobile (Tata Motors), l’hôtellerie, l’informatique, et même le thé, Tata ayant racheté la marque Tetley en 2000. Tata était un groupe indien, dirigé par un Indien, avait un chiffre d’affaires libellé en roupies. Ça suffisait à le disqualifier de la compétition internationale dans l’esprit des grosses têtes occidentales.

    Erreur. Grave erreur. Après avoir donné des sueurs froides aux constructeurs automobiles occidentaux en présentant au salon de Détroit la voiture la moins chère du monde, la Tata Nano (2500 dollars, soit1700 euros), le groupe indien vient d’annoncer aujourd’hui l’acquisition de deux marques britanniques mythiques, Jaguar et Land Rover, rachetées à l’Américain Ford pour 2,3 milliards de dollars. Lequel Ford fait une moins-value de 3 milliards d’euros. Et comme Indien vaut mieux que deux tu l’auras, le constructeur américain consent en plus 600 millions de dollars pour assurer les retraites des salariés des deux groupes.

    Là, ça ne rigole plus. Tata met la main sur deux marques emblématiques, laissées en jachère par un Ford en pleine déconfiture, sur un créneau haut de gamme dont il était complètement absent. Une, Land Rover, sur le marché ultra-rentable des 4X4 et autres cross-over. L’autre, Jaguar, marque mythique de voitures sportives, présente en Formule 1 il n’y a pas si longtemps avant que l’écurie ne soit revendue à la marque de boissons énergétiques Red Bull. Tata a même récemment laissé filtrer son intention de prendre une participation dans Ferrari, au cas où Fiat en ouvre le capital, avant de démentir vigoureusement.

    Les emplettes en terre européenne, Tata connaît. Un jour de 2006, le groupe indien avait racheté le sidérurgiste britannique Corus aux enchères. Tranquille, sans drame, contre un joli chèque de 10 milliards d’euros. L’affaire avait fait bien moins de bruit que l’OPA-bouffe de Mittal sur Arcelor, mais elle avait mis en lumière la puissance de feu de Tata, conglomérat gigantesque d’une centaine de sociétés, 30 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 290 000 salariés.






    La leçon de ces rachats successifs, c’est qu’on aurait tort de penser que les groupes des pays émergents vont se contenter indéfiniment du bas de gamme, du low-cost, de la sous-traitance. Dans la corbeille de mariée de Jaguar et Land Rover, Tata hérite de technologies de pointe (les deux marques dépensaient 600 millions de dollars par an en R&D, le double de Tata Motors) qui lui seront essentielles dans sa conquête des marchés européen et américain.

    Petit-fils du fondateur du groupe, Rajan Tata, 70 ans, apporte ainsi une sacrée pierre à l’édifice fondé par son arrière-grand-père, créateur de la première aciérie du pays, et complétée par son grand-père, qui a lancé la première compagnie aérienne indienne, aujourd’hui Air India. Avec, en y regardant de près, comme un petit goût de revanche envers le colonisateur britannique.


   

Publié dans Grands fauves

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